Après la mort de Pascal, sa famille et ses amis, qui s’attendent à mieux de la part de l’auteur des Provinciales, sont déçus de ne trouver dans ses papiers que des textes inachevés, découpés d’une manière apparemment confuse.
Sa sœur Gilberte prend la précaution de faire transcrire plusieurs copies de ces manuscrits, tels qu’ils se trouvent dans les dossiers de Pascal. Par la suite, au XVIIIe siècle, pour éviter des pertes irrémédiables, les papiers originaux sont collés sur les feuilles d’un gros Recueil, sans souci de l’ordre des dossiers de Pascal. Après de longues discussions, un « comité éditorial » formé par les Périer, le duc de Roannez, Antoine Arnauld et Pierre Nicole décide de publier une sélection des textes les plus étoffés, quitte à les modifier et à les éclaircir par des additions, des coupures pour les fragments trop elliptiques ou trop polémiques, et des modifications destinées à s’accommoder au goût du public.
En 1670 paraissent les Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autre sujets. Cette édition dite « de Port-Royal » et ses rééditions augmentées successives rencontrent un très grand succès, à tel point que les impressions contrefaites se multiplient.
Les éditeurs postérieurs suivent tous le texte de Port-Royal, même lorsqu’au XVIIIe siècle, Condorcet en donne un commentaire hostile à son inspiration religieuse (1776). Même un éditeur comme l’abbé Bossut, qui publie le premier état des œuvres à peu près complètes de Pascal (1779), ne se soucie pas de remonter aux originaux, se contentant de publier quelques textes apparus dans les années précédentes.
Cet état de fait dure jusqu’à ce qu’en 1842, Victor Cousin adresse un Rapport à l’Académie sur la nécessité d’établir une nouvelle édition des Pensées, conformes au manuscrit original dont on sait qu’au termes de diverses péripéties il a été déposé à la Bibliothèque de Saint-Germain-des-Près à Paris. L’entreprise est accomplie par Prosper Faugère (1844), qui révèle un nombre considérable de fragments tirés du Recueil original. Cependant, comme ce recueil, à la suite du collage des papiers, ne présente aucun ordre logique, il se contente de réunir les fragments voisins en suivant les renseignements que lui fournit la tradition. Cette édition marque le début d’une suite de publications qui tentent d’en améliorer le texte (Molinier, 1877), voire de le reproduire à la lettre (Tourneur, 1938, 1942), et d’approfondir la signification : l’une des plus riches est due à Ernest Havet (1852, 1866).
Les érudits cherchent alors à reconstituer le plan de l’ouvrage que Pascal n’avait pas pu achever. Mais les tentatives sont assez peu convaincantes pour que, dans son importante édition des Œuvres complètes, Léon Brunschvicg se contente de présenter les fragments réunis par thèmes dans des chapitres qui ne prétendent nullement retrouver le plan de Pascal, mais qui proposent un important commentaire (1904-1914). C’est cette édition qui marquera nombre d’écrivains du XXe siècle, tels François Mauriac, Paul Valéry, Albert Camus et Paul Claudel.
Cependant, un progrès considérable est accompli lorsque Louis Lafuma observe que si le manuscrit original fournit le texte des fragments, les deux copies (désignées aujourd’hui par les sigles C1 et C2) ont été établies en suivant strictement l’ordre dans lequel on a trouvé les dossiers de Pascal, de sorte qu’il faut combiner l’usage du manuscrit pour l’établissement de la lettre des textes, mais se régler sur les copies pour la disposition des parties. L’édition Lafuma s’appuie donc sur la copie C1, qui lui permet de distinguer des dossiers de « papiers classés », qui reflètent le classement provisoire des textes destinés à la composition de la défense de la religion chrétienne que Pascal préparait, et des « papiers non classés », qui comportent des textes qui ne sont pas nécessairement attachés à ce projet d’apologie.
Plus récemment, Philippe Sellier établit une édition encore plus révélatrice en suivant l’ordre de la copie C2 : il parvient à établir une chronologie interne des papiers de Pascal, qui permet de suivre le travail de l’écrivain entre 1658 et 1662, avec ses développements et ses hésitations. C’est actuellement la meilleure édition disponible. Il faut aussi mentionner le travail réalisé par Pol Ernst qui, découpant des photographies des originaux des Pensées, en jouant avec les papiers comme avec un puzzle, est parvenu à reconstituer certains ensembles de feuillets originaux, tels qu’il étaient avant d’être découpés par Pascal. Enfin, le site en accès public publié sur internet par Gilles Proust et Dominique Descotes permet aux lecteurs de Pascal de prendre connaissance de ces progrès en proposant les images des originaux des Pensées.